La Communauté Est-Africaine survivra-t-elle aux nombreuses crises ?

Le president en éxercice face à de multiples défits



 Le Président Burundais, Evariste NDAYISHIMIYE a été élu, en juillet 2022, Président en exercice du Sommet des Chefs d’Etat des pays de la Communauté Est-Africaine (CEA), comprenant 7 pays membres (Burundi, Kenya, Ouganda, République Démocratique du Congo, Rwanda, Soudan du Sud et Tanzanie).

Le Président NDAYISHIMIYE prend la présidence de la Communauté au moment où cette dernière est traversée par des crises, qui risquent d’hypothéquer son existence. A cet effet, dans sa nouvelle mission, il sera confronté à deux grandes préoccupations majeures :

  1. Restaurer la paix et la stabilité dans une région divisée

  2. Relancer la Croissance Economique, avec des économies affectées par les conflits, la pandémie de COVID-19 et les impacts du conflit en Ukraine.


plusieurs questions se posent, regroupées en quatre catégories


  1. Les tensions en RDC.

Source : thenewhumanitarian.org

Comment compte-t-il apaiser les tensions et restaurer la paix en RDC ? Par le dialogue ou par le fusil ?

  • Plus de 120 groupes armés, qui sèment l’insécurité et la mort à l’Est de la RDC ;

  • Les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), peu équipées, peu motivées et corrompues, et incapables de ramener la paix et l’ordre dans l’Est de la RDC ;

  • une force onusienne, la MONUSCO, en RDC, depuis plus de 22 ans, fortement équipée en hommes et en armes, mais, incapable de ramener la paix et protéger les populations civiles ;

  • un Secrétariat de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), incapables de proposer des solutions aux problèmes d’insécurité de la sous-région des Grands Lacs. Les tensions montent entre la RDC et le Rwanda et sont au bord d’une guerre ouverte.

Pensez-vous qu’une force militaire régionale, proposée par le Kenya, puisse restaurer la paix dans cette région divisée ? De quels moyens disposera-t-elle, qui soient plus efficaces que ceux de la MONUSCO ?

 

2. Tensions a domicile.

Frontières entre le Burundi et Rwanda à nouveau fermées.

  • Comment le nouveau Président de la Communauté compte-t-il agir, étant donné les préoccupations liées aux violations massives des droits de l'homme, aux exclusions et aux exils forcés au Burundi ? Des suspicions entourent également le déploiement de forces militaires et de miliciens pour affronter le RED-TABARA et d'autres rebelles armés dans le Sud-Kivu. Le refus de dialoguer avec ces groupes rebelles et les opposants politiques soulève des questions sur les efforts déployés pour restaurer la paix au Burundi

  • Pourquoi le Burundi maintient-il la fermeture de ses frontières avec le Rwanda, alors que ce dernier a annoncé la réouverture de ses frontières avec le Burundi depuis mars 2022 ? Cette décision a des conséquences financières significatives pour le Burundi, entraînant la perte de plusieurs millions de dollars en raison de la suspension des échanges commerciaux avec le Rwanda. De plus, cette fermeture affecte indirectement les relations commerciales avec l'Ouganda et une partie de la RDC, car les marchandises importées de ces régions transitent généralement par le Rwanda.

  • Quel exemple donne le Burundi pour la restauration de la paix et l’intégration économique régionale ?

  • Quels exemples pour le respect de la démocratie et des droits de l’homme à ses pairs de la CEA ?

 

3. La relance economique

  • Que va faire le Président de la CEA pour relancer la croissance économique, renforcer le commerce et l’intégration régionale, avec des économies nationales affectées par la pandémie de la COVID-19 et le conflit en Ukraine ?

  • Comment relancer le commerce intra régional, paralysé, au moins pour quelques pays de la Communauté par des conflits et des suspicions inter-Etats ?

  • Comment mobiliser les appuis des partenaires internationaux pour relancer les économies de la Communauté ? Les institutions, telles la Banque Mondiale, l’Union Européenne et la Banque Africaine de Développement, ont mis en place des mécanismes pour aider les pays affectés par ces crises. Le Président saura-t-il faire valoir l’identité régionale pour bénéficier de ces appuis ? 

  • Que va faire le Président de la Communauté pour résoudre les problèmes budgétaires qui se posent au niveau de la Communauté ?

 

4. Une cohésion à risque

Dans tout processus d’intégration régionale, la cohésion politique entre les leaders d’une communauté, est très importante.

La Communauté Est-Africaine, fondée en décembre 1967, avec trois pays membres (Kenya, Ouganda, Tanzanie), puis dissoute en 1977, pour être refondée en juillet 2000, a connu des soubresauts, découlant notamment des questions politiques de souveraineté, de gains économiques, et des susceptibilités, de chaque pays membre.

Les mêmes questions se posent aujourd’hui, avec 7 pays membres. Le Président en exercice de cette communauté saura-t-il rétablir et renforcer cette cohésion, durant son mandat.

Contexte

C’était le 22 juillet 2022, à l’issue d’un Sommet des Chefs d’Etat des Pays Membres de la Communauté Est-Africaine, à Arusha, en Tanzanie, que le Président du Burundi, S.E. Evariste NDAYISHIMIYE, prenait les rênes de la Communauté pour 2022/2023, en tant que nouveau Président, succédant au Président Kenyan, S.E. Uhuru KENYATTA.

Dans son discours de prise de fonction, le Président NDAYISHIMIYE indiquait que :

« Pour créer un environnement commercial stable et améliorer la vie des Africains de l'Est, nous continuerons à renforcer la paix régionale, la sécurité, la responsabilité politique, la bonne gouvernance et à institutionnaliser les mécanismes d'intervention d'urgence de l’EAC. En ce qui concerne la paix et la sécurité, nous veillerons à ce que notre nouvel État membre, la République Démocratique du Congo, se rétablisse et fasse un long chemin vers la stabilité et le développement, y compris la mise en œuvre des décisions prises lors du récent conclave de Nairobi ».

Le mandat accordé au Burundi prend effet à un moment clé, marqué par plusieurs événements majeurs au sein de la Communauté.

  • Tout d'abord, le 29 mars 2022, la République Démocratique du Congo (RDC) a été admise en tant que 7ème membre, rejoignant ainsi le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda, le Burundi, le Rwanda et le Soudan du Sud.

  • Le 8 avril 2022, la RDC a officiellement signé le traité d'adhésion à la Communauté d'Afrique de l'Est.

  • Ensuite, le 11 juillet 2022, elle a ratifié son entrée dans la communauté.

Avec l'adhésion de la RDC, la Communauté Est-Africaine compte désormais environ 300 millions de personnes, accueillant un nouveau membre avec une population de 94 millions d'habitants. Cela positionne la Communauté comme un marché potentiel colossal, évalué à 250 milliards de dollars américains.



« La Communauté Est-Africaine (CEA) a pour but principal de piloter le programme d'intégration économique, social et politique de l'Afrique de l'Est, de façon à créer de la richesse et à renforcer la compétitivité dans la région en stimulant la production, les échanges et l'investissement ».

Toutefois, aucune prospérité économique ne peut être envisagée sans la paix, la sécurité, un environnement politiquement stable, et disposant d’un cadre légal et réglementaire propice.


RESTAURER LA PAIX DANS UNE REGION DIVISEE

https://theglobalobservatory.org

Pendant que la RDC adhère à la Communauté, la crise à l’Est s’ajoute aux autres crises qui affectent la communauté depuis plus de trois ans. La paix, élément essentiel de l’intégration régionale, manque au sein de la Communauté.

Le Burundi, actuellement en présidence de la Communauté, est confronté à diverses préoccupations liées aux droits de l'homme, notamment des violations, des massacres, des exécutions extra-judiciaires, des cas de torture, des détentions injustifiées et des exils forcés, persistant sur plusieurs années. Par ailleurs, le pays entretient des relations complexes avec ses voisins :


1.  Burundi-Rwanda : Une diplomatie à petits pas

Depuis 2015, les relations entre le Rwanda et le Burundi se sont dégradées, suite, notamment, à une crise, née de la contestation contre le troisième mandat de l’ancien président burundais Pierre Nkurunziza. Gitega accusait Kigali d’héberger ses opposants, dont des auteurs de la tentative de coup d’État du 13 mai 2015. De son côté, Kigali accuse Bujumbura de collaborer avec les rebelles FDLR accusés d’avoir perpétré le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994. Avant la crise de 2015, les Burundais pouvaient vendre leurs produits alimentaires dans le pays voisin du Rwanda et percevaient des revenus conséquents.

En mars 2022, le Rwanda avait décidé de rouvrir ses frontières avec le Burundi, fermées en 2020, à la suite du COVID-19. Du côté burundais, les autorités estiment qu’il reste encore plusieurs points à régler pour normaliser les relations avec le Rwanda, notamment la question des auteurs présumés de la tentative de coup d’Etat de 2015 au Burundi.

Des signes de normalisation se font sentir, et les autorités des deux pays voisins ne cessent de répéter que les problèmes entre le Rwanda et le Burundi, y compris l’insécurité le long de la frontière commune, seront bientôt éliminés pour que les habitants des deux pays puissent se déplacer librement de part et d’autre de la frontière. C’est une situation qui handicape la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux, principes moteurs de l’intégration régionale que prône la Communauté de l’Afrique de l’Est.


2. Rwanda-Ouganda : Une timide reprise

Le 31 janvier 2022, le Rwanda annonçait la réouverture des frontières avec son voisin, l’Ouganda, fermées depuis février 2019.

Le gouvernement du Rwanda affirmait qu’il reste attaché aux efforts en cours pour résoudre les problèmes en suspens entre le Rwanda et l'Ouganda et estimait que l'annonce de réouverture des frontières contribuera positivement à la normalisation rapide des relations entre les deux pays.

La fermeture brusque du poste-frontière de Gatuna, en février 2019, par le Rwanda, coupait, ainsi, une importante route commerciale terrestre, aussi bien, pour le commerce entre le Rwanda et l’Ouganda, que pour le commerce entre l’Ouganda et le Burundi. Espérons que cette réouverture de la frontière, en janvier 2022, permettra de relancer la coopération commerciale entre les deux pays, bien que les échanges soient encore timides.


3. RDC : L’approche de paix au bout du fusil est-elle justifiée ?

La RDC, dernier pays à adhérer à la CEA, a connu de nombreuses crises, humanitaires, des droits de l’homme et de sécurité, pendant une bonne période post-indépendance.

  • En novembre 2021, une crise sécuritaire éclate lorsque le Mouvement du 23 mars (M23) attaque des positions militaires des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) dans la province du Nord-Kivu. Le Président Tshisekedi autorise l'Ouganda à déployer des soldats pour combattre les Forces Démocratiques Alliées (ADF) en RDC.

  • En mars 2022, le M23 prend le contrôle de parties du territoire de Rutshuru. En mai, ils envahissent la base militaire de Rumangabo et se dirigent vers Goma et la ville frontalière rwandaise de Gisenyi. En juin, une branche du M23 envahit Bunagana, forçant les soldats congolais à fuir en Ouganda.

  • Les accusations de la RDC contre le Rwanda d'avoir réorganisé et armé le M23 créent des tensions. Tshisekedi permet à l'Ouganda, au Burundi et au Rwanda d'opérer conjointement, mais les querelles entre l'Ouganda et le Rwanda entravent les efforts, chacun évitant que l'autre n'étende son influence au Nord-Kivu.

  • En mars 2021, la RDC conclut un accord avec le Rwanda sur des opérations conjointes, et en juillet de la même année, un accord similaire est signé avec le Burundi. Cependant, les déploiements ougandais et burundais se déroulent comme prévu, tandis que l'accord de sécurité entre le Rwanda et la RDC stagne. L'escalade des engagements de l'Ouganda en RDC et la perception de menace par le Rwanda alimentent leur rivalité, créant un contexte propice au réveil du M23 après près d'une décennie de dormance

L’Est de la RDC est une poudrière, car le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi sont tous trois confrontés à des rébellions armées basées dans cette région. Cela amplifie le risque de conflits interétatiques. Le Rwanda accuse les FARDC de combattre aux côtés des FDLR et d’être indifférentes aux craintes de Kigali en matière de sécurité. Cependant, ces menaces ont déjà été proférées auparavant. Ce qui les rend plus prononcées cette fois-ci, c’est la présence de troupes ougandaises au Nord-Kivu, la proximité entre l’Ouganda, le Burundi et la RDC, et la rupture du rapprochement entre les présidents du Rwanda et de la RDC.


4. Qu’en est-t-il des forces regionales

Source : https://www.independent.co.ug/

Dans l’espoir d’une nouvelle désescalade de la crise, le Président Kenyan, Uhuru Kenyatta, ajoute le feu au feu, en proposant un déploiement d’une force militaire multinationale de la CEA, au Nord et au Sud-Kivu, ainsi qu’en Ituri. Cependant, la composition de cette force a une grande importance, étant donné les frictions entre la RDC et ses voisins. La meilleure façon de gagner la confiance des citoyens congolais est d’exclure les pays qui ont participé directement ou indirectement à l’invasion et à l’occupation de certaines parties de la RDC et qui y ont mené des opérations militaires, à savoir l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.

Apparemment, la force exclut seulement la participation du Rwanda, sur demande expresse de la RDC, et maintient les deux autres, qui sont déjà sur terrain pour traquer leurs mouvements rebelles, ce qui va créer d’autres tensions régionales, au lieu de les résoudre. L’on peut se demander si cette force régionale de la CEA disposera plus de moyens militaires que la MONUSCO pour faire face aux conflits des groupes armés.

L’Est de la RDC risque de devenir un foyer de tensions, où les groupes rebelles armés, les forces des pays voisins, déjà opérationnelles dans le Sud et le Nord-Kivu, les FARDC et les forces de la MONUSCO vont s’affronter. Et ce sont les populations civiles qui vont en souffrir.

On n’éteint pas le feu avec le feu. Dans une zone en ébullition, est-il réellement efficace d’apporter une autre force militaire ?


5. Et que fait la MONUSCO ?

Cette institution onusienne est installée en RDC depuis plus de 22 ans, avec pour mandat la protection des civils et la stabilisation en RDC.


 

Cette mission des Nations Unies a les prérogatives de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’acquitter de son mandat, ce qui inclut de mener, unilatéralement ou conjointement avec les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), des offensives ciblées et énergiques, en vue de neutraliser les groupes armés et d’assurer une protection efficace, rapide, dynamique et intégrée des civils.

Comment expliquer que durant 22 ans, elle n’ait pas été en mesure de protéger les populations civiles de la RDC ?

A-t-elle échoué sa mission de maintien de la paix en RDC ?

Récemment, le Porte-Parole de la Mission onusienne a indiqué que la MONUSCO n’a pas les moyens militaires nécessaires pour faire face à la force du M23. Cette déclaration a provoqué la colère des autorités congolaises, jusqu’à demander le retrait du Porte-Parole. Comme pour se chercher une raison de rester, des experts des Nations Unies viennent de publier un Rapport faisant état du soutien du Rwanda au M23.

6. Et la CIRGL, quel rôle joue-t-elle ?

La Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL) a été créée en 2004, à Dar-es-Salaam, par les Nations Unies et l’Union Africaine, avec le mandat de créer les conditions favorables pour la sécurité, la stabilité et le développement durable et la reconstruction au sein des Etats Membres.

Durant trois ans (2005-2006), d’abord, à Nairobi, puis à Dar-es-Salaam, des discussions ont abordé les questions épineuses des conflits et de l’insécurité dans la région des Grands Lacs, sous tous les angles : politique, économique, social, pour, enfin, sortir des résolutions.

Dans la Déclaration de Nairobi du 15 décembre 2006, sur la « Sécurité, la Stabilité et le Développement dans la Région des Grands Lacs », en particulier dans son Protocole 5 sur la non-agression et la défense mutuelle dans la Région des Grands Lacs, il est stipulé que :

Les Etats Membres s’engagent à maintenir la paix et la stabilité au sein de la Région des Grands Lacs. A cet effet, ils s’engageaient notamment à :

  • Renoncer à recourir à la menace ou à l’utilisation de la force comme politique ou instrument visant à régler les différends ou litiges ou à atteindre les objectifs nationaux dans la Région des Grands Lacs ;

  • S’abstenir d’envoyer ou de soutenir des oppositions armées ou des groupes armés ou rebelles sur le territoire d’un autre Etat Membre ou de tolérer sur leur territoire des groupes armés ou rebelles, engagés dans des conflits armés ou impliqués dans des actes de violence ou de subversion contre le gouvernement d’un autre Etat ;

  • Coopérer à tous les niveaux en vue du désarmement et du démantèlement des groupes rebelles armés existants et à promouvoir une gestion participative conjointe de la sécurité étatique et humaine aux frontières communes.

  • Si un Etat membre ne se conforme pas aux dispositions du présent Article, un Sommet extraordinaire sera convoqué en vue d’examiner les mesures appropriées à prendre.

Compte tenu du mandat qui lui est confié, la CIRGL semble le canal le plus approprié pour ramener la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs. Tous les Protocoles prévus dans la Déclaration de Nairobi permettraient de faire face à ces crises de la Région des Grands Lacs, avant qu’elles ne dégénèrent. Il suffirait de les faire jouer leurs rôles respectifs.

Ceci d’autant que les 7 pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est sont aussi membres de la Conférence Internationale des Grands Lacs.

Elle pourrait également faire appel à la communauté internationale, en particulier, les Nations Unies et l’Union Européenne, pour organiser une Deuxième Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, en vue d’évaluer les progrès atteints, les contraintes et les perspectives d’avenir.

Les pays et institutions qui avaient appuyé l’organisation de la Première Conférence pourraient appuyer de nouveaux programmes de restauration de la paix dans la Région des Grands Lacs.

La restauration de la paix, la stabilité et la reconstruction économique au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est ne peut être assurée que dans un cadre diplomatique, et non, par les armes.

 

RELANCER LA CROISSANCE ECONOMIQUE PAR LES ECHANGES INTER-REGIONAUX

 Le Protocole du Marché Commun de la Communauté Est-Africaine envisage de :

  • faciliter la libre circulation des marchandises, la libre circulation des personnes, des travailleurs,

  • la liberté d’établissement,

  • la liberté de résidence,

  • la libre circulation des services, des capitaux,

  • l’utilisation d’une monnaie commune pour les transactions quotidiennes au sein de du Marché Commun, la Fédération Politique et l’Union Douanière.

Dans ce contexte, le commerce transfrontalier représente une source de revenu importante et un moyen de subsistance pour de nombreux habitants, et favorise la croissance économique des pays de la Communauté.

Avec les problèmes politiques, soulignés ci-haut, qui se posent au sein de la Communauté, il est clair que ces objectifs ambitieux ne seront pas réalisés.

Il sera difficile de promouvoir le commerce transfrontalier, dans un environnement de conflits entre voisins et des frontières fermées.

Par exemple, la valeur du commerce transfrontalier entre la RDC et l’Ouganda, qui était passée de 218 millions de dollars américains à 355 millions de dollars américains, entre 2018 et 2020, a chuté de plus de 50 %, pour atteindre 146,49 millions de dollars en octobre 2020, sous l’effet des restrictions de circulation transfrontalière.

  1. Faire face aux effets de COVID-19 sur les économies de la Communauté

La pandémie du COVID-19 a eu des impacts importants sur les économies des pays du continent africain, y compris ceux de la Communauté Est-Africaine. En effet, les mesures de restrictions de la mobilité et donc de l’activité économique, ont entrainé une baisse de la croissance et une baisse de la demande de produits de base.

Tous les 7 pays de la Communauté ont été affectés par une baisse de la croissance économique (voir graphique en bas). Les secteurs affectés étant la production agricole, le commerce, l’investissement et le tourisme. Durant la période pre-COVID-19, les pays de la Communauté étaient parvenus à maintenir des taux de croissance économique supérieurs à 5% par an. Néanmoins, la pandémie du COVID-19, conjuguée aux problèmes politiques entre pays, ont freiné cette croissance, la rendant négative pour tous les pays de la Communauté.

Source : UNCTAD

Pour certains pays, comme le Burundi, la situation a exacerbé la pauvreté des populations.

  • Le Burundi est le pays le plus pauvre de la Communauté, avec un Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant, par an de 237$, contre 2.007$, par habitant et par an, au Kenya.

  • Le Kenya se distingue du Burundi par sa bonne gouvernance, la promotion de l’investissement privé, y compris l’investissement de la Diaspora, ainsi que la transformation industrielle. Et ce sont des facteurs qui sont favorisés par la coopération régionale.

  • A part le Burundi, l’autre pays moins performant en matière de PIB par habitant, la RDC, a le double du PIB par habitant enregistré au Burundi.

  • Le Rwanda, qui avait un PIB par habitant inférieur à celui du Burundi en 1990, enregistre, aujourd’hui un PIB par habitant 3,5 fois plus que celui du Burundi.

C’est dommage que ce soit ce même pays, le moins performant de tous les autres de la Communauté, qui soit à la traine pour promouvoir le commerce transfrontalier, connu pour ses effets positifs à la croissance économique et la réduction de la pauvreté.

En sa qualité de Président en exercice de la CEA, le Président NDAYISHIMIYE aurait-il le courage de promouvoir la croissance économique par le commerce intra-régional, que les autres pays de la communauté, tel le Kenya, ont mis en avant ?

 

2. Apprendre les leçons de l’impact de la guerre Ukrainien

Plus de 5 mois après le début de la guerre en Ukraine, et alors que le conflit s’enlise, la situation pourrait devenir intenable pour les pays d’Afrique. Les questions de l’approvisionnement et de la dépendance de certaines économies africaines aux marchés russe et ukrainien constituent le premier point de tension, aux conséquences immédiates. Parallèlement, l’envol des prix des biens alimentaires et de l’énergie constituent une sérieuse menace pour la sécurité alimentaire. Enfin, compte tenu de leur environnement macroéconomique dégradé, de nombreuses économies africaines n’ont que peu de marge de manœuvre pour soutenir leurs populations, et font face à une forte tension budgétaire.

Les pays africains ont importé pour 4 milliards de dollars de produits agricoles en provenance de Russie en 2020 et pour 3 milliards de dollars en provenance d’Ukraine. Le blé représentait 69% de ces importations, le maïs 21% et l’huile de tournesol 6%, l’orge 3% et le soja 4%.


L’Ukraine et la Russie sont également exportateurs vers l’Afrique d’autres produits dont les exportations sont impactées par la guerre, tels que le soufre, les combustibles minéraux, les produits chimiques et les engrais, essentiels à la production agricole, ou encore les matériaux en fer, acier ou cuivre utilisés pour les infrastructures. La dépendance envers la Russie et l’Ukraine est moins marquée pour ces types de biens (entre 5 et 20% des importations) mais des tensions seront perceptibles à court terme, le temps pour les pays concernés de trouver d’autres fournisseurs à même répondre à leurs besoins, ces catégories de biens représentant environ 25% des importations totales du continent.



La crise russo-ukrainienne constitue un risque majeur pour la sécurité alimentaire et énergétique des pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Un conflit prolongé pourrait aggraver la situation en menaçant les exportations de blé vers la région et en faisant augmenter les prix.

Avant la crise, les prix mondiaux des denrées alimentaires étaient déjà élevés, avec des niveaux d'inflation significatifs pour les huiles (+60%) et les céréales (+30%) entre 2020 et 2021 (FAO).

La question clé est de définir des stratégies pour pallier ces importations, en se demandant s'il est logique et économiquement raisonnable de continuer à importer des produits tels que le blé, le maïs, l'huile de tournesol, l'orge et le sorgho dans une région naturellement fertile.

3. Assainir les conflits politiques pour relancer le commerce intra régional

Comme l’affirmait Ban Ki-moon, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, « Il ne peut y avoir de développement durable sans la paix et il ne peut y avoir de paix durable sans développement ».

Dans le même contexte, il ne peut y avoir de coopération économique régionale sans une paix durable.

Sur les 7 pays de la Communauté, 4 sont en conflits politiques, en l’occurrence, le Burundi, le Rwanda, l’Ouganda et la RDC.

Les échanges entre ces 4 pays sont suspendus ou ralentis, du fait des conflits ou divergences politiques.

  • Les frontières entre le Burundi et le Rwanda restent fermées depuis 2020, ce qui a fait que les exportations du Burundi vers le Rwanda entre 2018 et 2020, sont passées d’une valeur de 5,2 millions de dollars américains à seulement 72.500$.

  • Le Burundi devrait rouvrir rapidement ses frontières avec son voisin, le Rwanda, et relancer les échanges transfrontaliers, d’autant que le Rwanda a déjà déclaré rouvrir ses frontières avec le Burundi en mars 2022, tandis que le Burundi a préféré les garder fermées pour des raisons politiques.

  • Les exportations de l’Ouganda vers le Rwanda sont passées d’une moyenne mensuelle de l’équivalent de 16,6 millions de dollars américains, en 2019, à seulement une moyenne de 220.000$ en mars 2022.

  • L’Ouganda a également enregistré un déficit commercial avec la Tanzanie, tandis qu’avec le Sud Soudan et le Burundi, il réalisait des surplus.

  • Le Rwanda a accepté de rouvrir les frontières avec l’Ouganda à la condition de respecter les engagements pris sur les questions politiques entre les deux pays, et l’un des engagements étant que les deux pays ne soutiendraient plus les groupes d’opposition, conformément au Mémorandum d’Entente conclu entre les deux pays en 2020.

  • Les opérateurs privés des deux pays sont inquiets des délais que prend la reprise des échanges entre les deux pays, malgré la réouverture des frontières début 2022.

Avec l’adhésion de la RDC, les 6 autres pays membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est espèrent prendre avantage des 94 millions de consommateurs congolais, qui s’ajouteront aux 200 millions de consommateurs. Le marché régional devenait vaste et attractif, et les investisseurs étrangers se préparaient pour investir dans ce grand marché.

Malheureusement, les derniers événements politiques à l’Est de la RDC pourraient paralyser ce dynamisme commercial.

Il est, par conséquent, nécessaire de trouver, rapidement, des solutions diplomatiques à la crise politique, afin de donner un élan à l’intégration économique régionale.

4. Relancer le Processus de Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF)

  • La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECA) a été lancée le 1er janvier 2021 dans un contexte difficile avec la pandémie de COVID-19, un faible niveau de commerce intra-africain (15%), et une récession internationale impactant négativement l'aide au développement en Afrique.

  • La Communauté de l’Afrique de l’Est a priorisé l'intégration régionale commerciale en renforçant les institutions publiques et les organisations du secteur privé impliquées dans la promotion des exportations.

  • La ZLECAF vise à créer un marché continental unique avec la libre circulation des biens, services, personnes et investissements pour renforcer la compétitivité et soutenir la transformation économique.

  • Le commerce intra-Communauté Est-Africaine est actuellement à 20%, avec un objectif de le porter à au moins 50% dans les 5 prochaines années. Avant 2020, les pays de la CEA avaient enregistré des hausses du commerce, mais des disputes sur les règles d'origine et la qualité des produits, la pandémie de COVID-19, et des problèmes politiques ont entravé le commerce régional.

  • Malgré l'adhésion de la RDC offrant des perspectives d'expansion du commerce intra-régional, les conflits politiques dans l'Est de la RDC tempèrent l'enthousiasme.

La relance du commerce régional nécessitera des mesures telles que la réduction de la dépendance aux produits de base, la diversification, la diminution des barrières tarifaires et non-tarifaires, l'amélioration des infrastructures et de la logistique, ainsi que la réduction des risques liés à la sécurité sur les routes.

5. Faire face à la crise alimentaire 

Une sécheresse dévastatrice, la plus sévère depuis quatre décennies, l’impact de la pandémie de COVID-19, les conflits et les violences, les hausses vertigineuses des prix des produits alimentaires, mettent les populations de l’Afrique de l’Est en risque de crise alimentaire grave.

Plusieurs millions de personnes souffrent de l’insécurité alimentaire et de la famine, au Kenya, au Sud Soudan et au Burundi.

Le conflit en Ukraine a empiré une situation déjà sérieuse, avec la hausse des prix des produits alimentaires, en particulier, le blé, le riz, les fertilisants et le carburant, en provenance, soit de l’Ukraine, soit de la Russie.

Selon certaines estimations, avec ce conflit, les prix du blé et de la farine auraient augmenté de 30% depuis le début de la crise. Cette crise a généré la malnutrition de millions d’enfants au sein de la communauté, parce que leurs parents ne peuvent plus les nourrir. Il est, évidemment, difficile de comprendre qu’un territoire, aussi grand et aussi fertile, qu’est la CEA, les gouvernements soient encore obligés d’importer des produits alimentaires.

6. Régler les problèmes budgétaires de la Communauté

Le Secrétariat de la CEA est confronté à d’énormes difficultés financières, résultant des arriérés de contributions des Etats membres au budget de la Communauté.

En mars 2022, le Secrétaire Général de la CEA lançait une alerte que les arriérés de contributions avaient atteint un niveau alarmant de 50 millions de dollars américains.

Le Soudan du Sud et le Burundi devant 48,6 millions de dollars américains, soit 98% du montant dû. Avec un tel niveau d’arriérés, qui représentent plus de 50% du budget de la communauté, il est évident que l’agenda d’intégration régionale de la communauté est en danger d’asphyxie.


En mai 2021, une proposition a été avancée en tenant compte des difficultés rencontrées par certains pays membres pour s'acquitter régulièrement de leurs contributions au budget de la communauté. Cette proposition préconise un modèle hybride de contribution, se décomposant comme suit :

  1. 50% de la contribution serait payée selon la clé de contribution égalitaire habituelle.

  2. Les 50% restants seraient répartis de la manière suivante :

    • 40% serait calculé sur la base du PIB nominal par habitant de chaque pays au cours des cinq dernières années.

    • 5% serait déterminé en fonction du commerce inter-régional.

    • Les 5% restants seraient basés sur les importations hors-communauté


Le Kenya, qui serait plus affecté financièrement que les autres pays selon cette formule, n'a pas donné son approbation. Il argumente que tous les États membres ont une responsabilité égale dans l'adoption et la mise en œuvre des décisions, et qu'une nouvelle formule n'inciterait pas nécessairement les pays en défaut à payer leurs contributions. Le Kenya soutient plutôt qu'il faut insister sur l'engagement de chaque pays. Selon cette formule, les contributions seraient réparties comme suit :

  1. Kenya : 23,8%

  2. Tanzanie : 17,8%

  3. Ouganda : 16,7%

  4. Rwanda : 16,2%

  5. Soudan du Sud : 13%

  6. Burundi : 12,7%

Cette situation place la Communauté dans une situation de risque constant d'asphyxie financière.

III. CONCLUSION

La Communauté Est-Africaine traverse actuellement des crises nombreuses, et pour les surmonter, et remettre la communauté sur la voie de l’intégration régionale, il faudra un vrai leadership et une cohésion entre les leaders politiques de la communauté.

Dans ce contexte, la recherche de la paix constitue le socle de l’intégration régionale et le développement économique de la région. La Communauté devrait privilégier le dialogue, en lieu et place, d’une force militaire internationale.

Les instruments de paix existent, notamment le processus de Nairobi et la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) établie en 2006, dont les 7 pays de la CAE font partie. La CIRGL, créée à Dar-es-Salaam, a pour mission de faire de la région des Grands Lacs une zone de paix et de prospérité économique. Pourquoi ne pas activer cet organe en organisant une deuxième conférence internationale sur la région, avec le soutien des Nations Unies et de l'Union Européenne, afin d'évaluer les progrès et les obstacles ?

Enfin, l’intégration économique et politique, objectif de la Communauté, est compromise par les crises politiques entre pays, exacerbées par les effets négatifs de la pandémie de COVID-19 et du conflit ukrainien, sur les économies des pays membres de la communauté.

Le Président en exercice parviendra-t-il à restaurer la paix et amorcer la relance de l’intégration économique régionale ?

Dans tous les cas, les 300 millions de citoyens de la communauté espèrent un vrai changement. L’action, c’est maintenant. Le Président en exercice de la CEA a du pain sur la planche.

                          

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