LA REGION DES GRANDS LACS : PLUS DE 30 ANS D’INSTABILITES POLITIQUES.
Table of contents:
Introduction
La CEPGL, facteur de stabilisation pour la paix régionale ?
- Au niveau intérieur des États.
- Au niveau Régional
- Au niveau des Partenaires de Développement
La CIRGL : Faire de la Région un espace de Paix, de Stabilité et de Développement
Adhésion de la RDC à la EAC : Espoir ou Désillusion ?
Conclusion
-
1. Le 20 septembre 1976, trois Chefs d’Etat du Burundi, du Rwanda et du Zaïre signèrent, a Gisenyi, Rwanda, la Convention portant la création de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL).
2. L’Institut de la Recherche Agronomique et Zootechnique (IRAZ), fut créé en 1979
3. La Banque de Développement des États des Grands Lacs (BDEGL), fut créée en septembre 1977
4. La Société Internationale pour l’Électricité des Grands Lacs (SINELAC), fut créée en 1989
5. Consultations nationales au Congo en 1992
6. Aout 1993 : Accord de paix au Rwanda
7. Octobre 1993 : Coup d’État au Burundi
8. Attentat contre l’avion présidentiel transportant les présidents rwandais et burundais, le 6 avril 1994
9. Guerre du Congo de 1998 a 2003
10. Accords de cessez-le-feu a Lusaka : Juillet 1999
11. Les résolutions 1291 du 26 février 2000 et 1304 du 16 juin 2000 du Conseil de Sécurité des Nations Unies
12. Aout 2000 : Accords d’Arusha au Burundi
13. Discussions de relance de la CEPGL a Bruxelles, le 11 Juillet 2004
14. Conférence Internationale sur la Paix, la Sécurité, la Démocratie et le Développement sur la Région des Grands Lacs, organisée à Dar-es-Salaam, Tanzanie, du 19 au 20 novembre 2004
15. AWEPA (Association of European Parliamentarians with Africa) : « Déclaration de Kigali », d'avril 2005, et « Déclaration de Kinshasa », de novembre 2005
16. Réunion du Conseil de Sécurité des Nations unies, le 27 janvier 2006 sur la RDGL
17. 15 Décembre 2006 : Un Secrétariat Exécutif de la Conférence fut créé, la CIRGL (Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs) et son siège fut ouvert à Bujumbura
18. Le Gouvernement congolais et le CNDP aboutirent aux accords du 23 mars 2009
19. Le 20 novembre 2012, M23 prit le contrôle de Goma et de ses alentours.
20. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies approuva, le 28 mars 2013, par sa Résolution 2098, la création d’une brigade d’intervention
21. Le 12 décembre 2013, la RDC et le M23 signèrent, à Nairobi, un Accord de paix, qui confirmait la dissolution du M23
22. Janvier 2021 : mise en œuvre, au niveau régional, de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF)
23. En novembre 2021, le M23 reprit les armes
24. Le 8 août 2022, la RDC signait le Traité d’Adhésion de la RDC à la Communauté Est-Africaine
25. Réunion extraordinaire de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL), le 1er juin 2023
26. 23 juin 2023, à Luanda, Réunion quadripartite entre la CIRGL, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), et l’Union Africaine (UA)
INTRODUCTION
« La situation en République démocratique du Congo constitue une menace pour la Paix et la Sécurité Internationales dans la région »
- (Conseil de Sécurité des Nations Unies, février 2000)
Cette affirmation, faite il y a plus de 23 ans, garde malheureusement toute sa pertinence aujourd'hui, et plus encore au vu de l'instabilité politique dans laquelle s'est engouffré plus profondément l'Est de la RDC, récemment, et qui affecte tout le continent africain et dans laquelle aussi bien les grandes puissances et des acteurs extérieurs au continent sont impliquées, d’une manière ou d’une autre.
Au moment où l’Union Africaine célébrait, ce 25 mai 2023, les 60 ans de sa création, avec le slogan : « Notre Afrique, Notre Avenir », la Région des Grands Lacs, elle, est très engluée dans des instabilités politiques cycliques, ne leur permettant pas de s’engager dans de vrais programmes de développement et d’intégration économique régionale. La région toute entière est au bord de l’implosion. Toutes les tentatives d’intégration économique, engagées depuis plus de 50 ans n’ont toujours pas décollé. De la création de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL), à l’organisation de la Conférence Internationale sur la Paix, la Stabilité et la Démocratie pour la Région des Grands Lacs, en passant par l’adhésion de la République Démocratique du Congo à la Communauté Economique d’Afrique de l’Est (EAC), la situation en matière de paix et de sécurité régionales est toujours préoccupante. Le Président de la République d’Angola, avec le Président de la Commission de l’Union Africaine, ont proposé l’organisation d’une réunion quadripartite entre la CIRGL, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), le 23 juin 2023, à Luanda. Mais la question de la RDC a déjà dépassé le simple cadre régional, ou, même, continental. La communauté internationale devrait s’impliquer davantage et appuyer la région, dans la recherche d’une paix régionale durable, préalable pour une coopération régionale.
La CEPGL, a-t-elle été réellement un facteur de stabilisation pour la paix régionale ?
Le 20 septembre 1976, trois Chefs d’Etat du Burundi, du Rwanda et du Zaïre signèrent, a Gisenyi, Rwanda, la Convention portant la création de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Cette communauté avait quatre objectifs principaux, à savoir :
Assurer, avant tout et d’abord, la sécurité des Etats membres et de leurs populations de sorte qu’aucun élément ne vienne troubler l’ordre et la tranquillité sur leurs frontières respectives.
Concevoir, définir et favoriser la création et le développement d’activités d’intérêts communs.
Promouvoir et intensifier les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des biens.
Coopérer de façon étroite dans les domaines social, scientifique, culturel, politique, militaire, financier, technique et touristique et plus spécialement en matière judiciaire, sanitaire, énergétique, de transport et de communication.
Cette organisation régionale s’est acquittée de ses missions de manière convenable, malgré quelques difficultés politiques et institutionnelles, jusqu’au moment où éclatait la première guerre du Congo, en octobre 1996, précédée par des ébranlements des régimes et des assassinats successifs des chefs d’Etat au Burundi et au Rwanda, des massacres massifs, au Burundi et du génocide contre les Tutsi, au Rwanda.
Au niveau politique
L’objectif principal assigné à la CEPGL, à savoir : « Assurer avant tout et d’abord la sécurité des Etats membres et de leurs populations de sorte qu’aucun élément ne vienne troubler l’ordre et la tranquillité sur leurs frontières respectives », venait d’être mis à rude épreuve. La région était fragilisée par des conflits internes, mais, également, par une insécurité récurrente, découlant de la multiplication des bandes armées de la RDC, du Rwanda et du Burundi, qui continuaient à alimenter l`insécurité, tandis que l’organisation manquait d’appui de la part des Etats Membres et des partenaires de développement.
AU NIVEAU économique
Les 4 organismes spécialisés suivants furent mis en place :
· L’Institut de la Recherche Agronomique et Zootechnique (IRAZ), créé en 1979, avec pour mission de faire de la recherche dans le domaine agronomique et zootechnique en vue de favoriser l’autosuffisance alimentaire des 3 pays membres.
· La Banque de Développement des États des Grands Lacs (BDEGL), créée en septembre 1977 en vue de mobiliser des ressources financières pour des projets visant à poursuivre l’intégration économique et le développement de la région.
· La Société Internationale pour l’Électricité des Grands Lacs (SINELAC), créée en 1989, en vue de l’exploitation de la centrale hydro-électrique de la Ruzizi II et la commercialisation de l’énergie produite dans les 3 pays.
· Énergie des Grands Lacs (EGL), ayant pour mission d’assurer la coopération entre les États membres dans le secteur de l’énergie et de jouer le rôle d’organe de planification, d’études et de réalisation des projets.
Ces institutions furent toutes victimes des crises au sein des Etats membres et du faible appui des partenaires de développement.
Au niveau intérieur des Etats
Au Burundi, la démocratisation entamée en 1990 connut un arrêt brutal avec le coup d’Etat d’octobre 1993 qui dégénèrera en une guerre civile et des conflits politiques. Plus de 300.000 civils burundais furent massacrés, des milliers de réfugiés et déplacés intérieurs, et une pauvreté extrême. En août 2000, les acteurs politiques conclurent, à Arusha, en Tanzanie, un Accord pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, appelé « Accord d’Arusha ». Une nouvelle Constitution, issue de cet Accord, fut promulguée en mars 2005, et des élections législatives et présidentielles furent organisées en mai 2005, remportées par le CNDD-FDD, un ancien mouvement rebelle qui avait accepté d’adhérer à l’Accord d’Arusha, en signant un Accord de Cessez-le-Feu à Pretoria, Afrique du Sud, en novembre 2003. A la suite de l’entrée en fonction du mouvement CNDD-FDD, une nouvelle gouvernance a été instituée, caractérisée par l’abandon de l’Accord d’Arusha, les violations massives des droits de l’homme, ainsi que l’exil des populations civiles vers les pays voisins.
Au Rwanda, malgré qu’un Accord de Paix eût été conclu et signé à Arusha, en août 1993, l’attentat contre l’avion présidentiel transportant les présidents rwandais et burundais, le 6 avril 1994, allait servir de prétexte et de déclencheur au génocide contre les Tutsi, qui a fait plus de 800.000 morts. Le génocide accompli, le gouvernement génocidaire, son armée et ses milices Interahamwe encadrant des millions de Rwandais (1 à 2 millions, selon les sources), allaient fuir vers le Kivu, en République démocratique du Congo. Le nouveau pouvoir, installé a Kigali, s’embarqua alors dans un processus de reconstruction nationale et de rapatriement des réfugiés. Toutefois, l’installation des millions de réfugiés à l’Est de la RD Congo aux frontières rwandaises, parmi lesquelles figuraient les auteurs du génocide contre les Tutsi, constituait une préoccupation majeure pour la sécurité du Rwanda. Son effet a des prolongements qui continuent à envenimer les tensions politiques dans les relations entre la RD Congo et le Rwanda. En effet, une partie de ces réfugiés se sont constitués en groupes armés et opèrent des attaques au Rwanda pour déstabiliser ce pays et hypothéquer tous les efforts de reconstruction et de réconciliation nationales.
Au Zaïre (devenu, plus tard, République Démocratique du Congo), les années 1990 furent marquées par des Consultations Nationales (1992), puis l’insécurité à l’Est, déclenchée en 1998, qui conduisit à des négociations pour la paix. Les accords de cessez-le feu de Lusaka de juillet 1999 avaient permis, en plus d’arrêter progressivement la guerre, de lancer le dialogue inclusif inter-congolais qui avait mené au gouvernement de transition (2003-2006) et aux élections de 2006, à l’intégration des forces rebelles, et au déploiement d’une force onusienne. La réinsertion des combattants fut un échec. Une nouvelle rébellion, le CNDP, vit le jour à fin 2006. Les négociations entamées début 2009 entre le Gouvernement congolais et le CNDP aboutirent aux accords du 23 mars 2009 qui stipulaient que le mouvement CNDP allait se constituer en parti politique et que ses combattants intégreraient l’armée nationale. Le CNDP s’engageait à démanteler son administration dans le cadre du rétablissement de l’Autorité de l’Etat. Selon International Crisis Group (ICG), ces accords furent un marché de dupes. Ni le gouvernement, ni le CNDP ne les mit en application. En juillet 2012, le M23 (nom découlant des Accords du 23 mars) reprit les armes dans l’Est de la RDC, et occupa plusieurs villes. Le 20 novembre 2012, M23 prit le contrôle de Goma et de ses alentours. Des dirigeants africains s’impliquèrent alors pour trouver une solution. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies approuva, le 28 mars 2013, par sa Résolution 2098, la création d’une brigade d’intervention, de 3.069 casques bleus, provenant d’Afrique du Sud, de Tanzanie et de Malawi, au sein de la MONUSCO, chargée de « mener des opérations offensives ciblées » contre les groupes d’insurgés dans l’Est de la RDC. Dans la nuit du 4 au 5 novembre 2013, l’armée congolaise, appuyée par la brigade de la MONUSCO, chassa les combattants du M23 de leurs positions. Le 12 décembre 2013, la RDC et le M23 signèrent, à Nairobi, un Accord de paix, qui confirmait la dissolution du M23, définit les modalités de la démobilisation et conditions à l’abandon de la violence et la reconnaissance des droits de ses membres. De nouveau, le Gouvernement de la RDC ne respecta pas le contenu de l’Accord. En novembre 2021, le M23 reprit les armes. C’est la situation qui prévaut aujourd’hui, avec, cette fois-ci, l’implication des Forces Armées de la Communauté de l’Afrique de l’Est pour ramener la paix dans cette région. Et bientôt, les Forces Armées de la SADC. En plus de la MONUSCO, et plusieurs groupes armés, évalués à plus de 130 groupes, avec des revendications diverses.
Au niveau Régional
La région de l’Est de la RDC est devenue une zone d’insécurité pour, non seulement, la RDC, mais également, pour les pays de la région.
Pour le Rwanda, avoir des réfugiés aux frontières côté RDC, dont certains, auteurs du génocide contre les Tutsi, et qui se sont, organisées en mouvement armé, le FDLR, avec pour objectif la déstabilisation du Rwanda, constitue une réelle menace pour sa sécurité. Le pouvoir en place à Kinshasa ferme les yeux sur cette organisation militaire aux frontières avec un pays voisin, et des rapports font état d’une collaboration entre l’armée nationale congolaise avec cette force négative, en violation des conventions internationales et des accords dans le cadre de la CEPGL. Ces tensions aux frontières communes furent suivies par deux guerres successives en 1996 et 1998.
Au Burundi, avec les massacres de civils, consécutif à l’assassinat du Président démocratiquement élu, en 1993, un mouvement armé, les Forces de Défense de la Démocratie (FDD), s’est créé et s’installait dans la région du Sud-Kivu, dans la partie Est de la RDC. C’est à partir de cette région que ce mouvement armé entreprenait des actions de déstabilisation au Burundi, y compris des massacres de populations civiles. Comme pour les forces négatives rwandaises, le Gouvernement de Kinshasa fermait les yeux sur ces actions de déstabilisation d’un pays voisin. Aujourd’hui, des mouvements armés qui combattent le Gouvernement en place au Burundi sont basés dans cette région de l’Est de la RDC. C’est notamment, le mouvement RED-Tabara et le FNL.
En RDC, avec la guerre de 1996, le pouvoir de Kinshasa dut affronter des rebellions, en provenance de l’Est du pays, qui se traduisirent par la fuite du Président Mobutu, en 1996, et son remplacement par Laurent-Désiré Kabila. En 1998, éclata la deuxième guerre du Congo, qui dura de 1998 à 2003. Elle impliqua neuf pays de la région (RDC, Angola, Namibie, Zimbabwe, Tchad, Ouganda, Rwanda, Burundi) et une trentaine de groupes armés, ce qui en a fait la plus grande guerre entre Etats dans l’histoire de l’Afrique. Ce conflit aura engendré de nombreux massacres et violations des droits de l’homme, et entrainé le décès de 183.000 personnes, selon certains analystes, et à environ 4 à 4,5 millions de personnes mortes principalement de famine et de maladies, selon un Rapport de International Crisis Committee. Des millions d’autres furent déplacées de leurs terres, vers les camps de déplacés à l’intérieur du pays, ou réfugiés dans les pays voisins.
Face à une telle situation régionale d’impasse politique, la CEPGL était impuissante à faire jouer son mécanisme de paix et de sécurité, en raison, notamment, du manque de soutien politique et financier des Etats membres. Ces derniers ne s`acquittent plus de leurs contributions au budget de l`Organisation, et ce, depuis plusieurs années, il n’existe plus de réunions statutaires, que ce soit le Conseil des Ministres ou le Sommet des Chefs d`Etat. Ces difficultés institutionnelles internes ont conduit les partenaires de développement à réduire ou suspendre leur appui aux projets de la CEPGL.
Au niveau des partenaires de développement
11 juillet 2004 : Face à cette situation de paralysie de la CEPGL, à l'invitation du Ministre Belge des Affaires Etrangères, alors en fonction, Louis Michel, les ministres des Affaires Etrangères de la RDC, du Rwanda et du Burundi se réunirent à Bruxelles pour discuter des modalités d'une éventuelle relance de la CEPGL. À cet effet, ils décidèrent, notamment, de mettre en place une Commission d'Évaluation et de Relance des mécanismes et instruments existants de la CEPGL en vue de faire des propositions opérationnelles, et ceci dans le cadre d'un agenda et d'un calendrier clairement définis. Aucune action concrète ne fut entreprise.
2005 : Dans le même contexte, AWEPA (Association of European Parliamentarians with Africa), dans ses travaux, en particulier, dans la « Déclaration de Kigali », d'avril 2005, et dans la « Déclaration de Kinshasa », de novembre 2005, avait plaidé en faveur de la redynamisation de la CEPGL
le 27 janvier 2006 : De surcroît, lors de la réunion du Conseil de Sécurité des Nations unies, concernant la situation des Grands Lacs, le Ministre Belge des Affaires Etrangères, Karel De Gucht, insista sur l'effet stabilisateur de la coopération économique régionale, soulignant que la CEPGL pourrait devenir un facteur d'intégration entre les populations de la RDC, du Rwanda et du Burundi. la C
La Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) : Faire de la Région un Espace de Paix, de Stabilité et de Développement
Depuis l’éclatement des crises au sein de la région des Grands Lacs, au début des années 1990, l’idée d’organiser une conférence internationale sur la région des Grands Lacs avait germé, avec l’objectif d’aborder la résolution de ces crises sur un plan global. Les résolutions 1291 du 26 février 2000 et 1304 du 16 juin 2000 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, désignèrent l’insécurité de cette partie du monde comme une menace réelle contre la paix internationale.
Dans ce contexte, le Conseil de Sécurité réaffirmait qu’il importait « d’organiser, au moment opportun, sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation de l’Unité Africaine, une conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans la région des Grands Lacs, à laquelle participeraient tous les gouvernements de la région et toutes les autres parties concernées ».
Pour cela, l’espace géographique plus grand fut désigné, comprenant 11 pays, à savoir : Burundi, Rwanda et République Démocratique du Congo, Angola, Kenya, Tanzanie, République du Congo, Soudan, Ouganda, République Centrafricaine et Zambie. Le Soudan du Sud a rejoint la plateforme plus tard, comme le 12ème pays membre, après son indépendance, en 2011.
Par conséquent, une Conférence Internationale sur la Paix, la Sécurité, la Démocratie et le Développement sur la Région des Grands Lacs fut organisée à Dar-es-Salaam, Tanzanie, du 19 au 20 novembre 2004, à l’issue de laquelle les Chefs d’Etat des 11 pays :
(a) Proclamaient leur détermination collective à faire de la région des Grands Lacs un espace de paix et de sécurité durable, et ce pour les Etats et les peuples, de stabilité politique et sociale, de croissance et de développement partagés, un espace de coopération fondé sur des stratégies et politiques de convergence, en conformité avec la vision et la mission de l’Union africaine.
(b) Réaffirmaient leur engagement à réaliser ce destin commun dans le strict respect des dispositions de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples, ainsi que de tous les instruments juridiques internationaux et régionaux pertinents ;
(c) S’engageaient à construire une région des Grands Lacs ouverte à d’autres régions du continent en bâtissant leur coopération autour des axes prioritaires que sont : la paix et la sécurité, la démocratie et la bonne gouvernance, le développement économique et l’intégration régionale, les questions humanitaires et sociales.
Dans une Déclaration adoptée le 15 décembre 2006, les 11 Chefs d’Etat réaffirmaient leur engagement collectif à adopter et à mettre en œuvre, les Programmes d’action, Protocoles et mécanismes propres à traduire dans les faits les options politiques prioritaires et les principes directeurs de la Déclaration de Dar-es-Salaam. Un Secrétariat Exécutif de la Conférence fut créé, la CIRGL (Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs) et son siège fut ouvert à Bujumbura.
L’adoption du Pacte de Nairobi représentait le triomphe de l`espoir sur le pessimisme, l`occasion rêvée pour que les ennemis d`hier enterrent enfin la hache de guerre et construisent leurs nations.
Au cours d`une réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 20 décembre 2006, quelques jours après la tenue de la Conférence de Nairobi, les membres du Conseil se félicitaient que le processus qui venait de se conclure à Nairobi, était un exemple pour l’Afrique toute entière, que la région des Grands Lacs était dans la bonne voie à condition que les promesses et les engagements pris par les principaux intéressés se concrétisent sans retard, après une décennie de conflits sanglants.
Dix-sept ans après cette conférence de Nairobi, la situation sécuritaire dans la sous-région est toujours inquiétante, et même explosive, les autorités de Kinshasa menaçant, même, d’entrer en guerre ouverte contre le Rwanda, l’accusant de soutenir les rebelles du M23.
Dans un Rapport au Conseil de Sécurité des Nations Unies, en octobre 2019, le Secrétaire Général soulignait que « les conditions de sécurité sont restées précaires en République démocratique du Congo, où les groupes armés illégaux ont continué de commettre des atrocités contre la population civile et d’attaquer les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ».
Comme le rappelait récemment dans la réunion extraordinaire de la CIRGL, le Président de la Commission de l’Union Africaine, près de deux décennies après la création de la CIRGL, « de nombreux progrès ont été, certes, enregistrés dans bien des domaines, mais les défis à la paix et à la sécurité demeurent des enjeux majeurs pour la stabilité et le développement. La persistance des activités de groupes armés, notamment la résurgence du M23, la menace terroriste ADF, l’exploitation illicite des ressources naturelles sont aujourd’hui les manifestations saillantes de ces enjeux sécuritaires ».
Les mêmes défis auxquels s’est heurtée la CEPGL durant plus de 20 ans. Cette institution s’est trouvee impuissante a imposer la paix dans une région en ébullition.
Adhésion de la RDC à la Communauté de l’Afrique de l’Est : Espoir ou Désillusion ?
Le 8 août 2022, la RDC signait le Traité d’Adhésion de la RDC à la Communauté Est-Africaine, faisant de ce pays le 7ème Etat membre, après le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud et la Tanzanie. Avec ce nouveau membre d’une population de 96 millions d’habitants, la Communauté de l’Afrique de l’Est hébergera, désormais, environ 300 millions de personnes, et représentera un marché potentiel de 250 milliards de dollars américains, ce qui est énorme. Il serait, par conséquent, possible de piloter le programme d'intégration économique, social et politique de l'Afrique de l'Est , de façon à créer de la richesse et à renforcer la compétitivité dans la région en stimulant la production, les échanges et l'investissement. Avant l’adhésion de la RDC a la Communauté de l’Afrique de l’Est, cette dernière était fortement engagée dans la mise en œuvre, au niveau régional, de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF), qui venait d’être lancée en janvier 2021.
Malheureusement, la situation sécuritaire à l’Est de la RDC, quelques mois après le lancement de la ZLECAF, mettra à l’arrêt cette ambition d’un espace économique plus large pour une coopération économique régionale, en vue d’un développement durable et une prospérité partagée entre les peuples de la région.
Tous les 7 pays membres de la Communauté sont, maintenant, impliqués dans la recherche de la paix et de la sécurité dans cette partie de l’Est de la RDC. Des initiatives de paix régionales ont été adoptées, en particulier, le processus de Luanda, qui vise au rétablissement d’une relation apaisée entre la RDC et le Rwanda, et le processus de Nairobi, mené par la Communauté de l’Afrique de l’Est, qui combine consultations politiques et efforts militaires. Une force militaire de la Communauté a été déployée dans la zone de la crise. Tous les pays de la Communauté ont envoyé des contingents de militaires, sauf le Rwanda.
Le Président Joao Laurenço, Président d’Angola et Président en exercice de la CIRGL a annoncé l’organisation, pour ce 23 juin 2023, à Luanda, d’une réunion quadripartite entre la CIRGL, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), et l’Union Africaine (UA) qui en assurera la coordination.
C’est dans ce même contexte qu’en avril 2023, dans son Rapport au Conseil de Sécurité, l’Envoyé Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Région des Grands Lacs, Monsieur Huang Xia, avait alerté les membres du Conseil de Sécurité sur le risque de guerre si aucune action n’est entreprise pour ramener la paix et la sécurité dans l’Est de la RDC : « Faute d’une solution politique négociée, le risque d’une reprise des combats est réel, et d’autres groupes armés locaux et étrangers, parmi lesquels les Forces démocratiques alliées (ADF), les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et la Résistance pour un État de Droit au Burundi (RED-Tabara), continuent de semer la terreur et d’alimenter l’instabilité, sur fond de tensions persistantes entre Kinshasa et Kigali ».
La situation humanitaire est également préoccupante.
D’après le HCR, plus d’un million de réfugiés congolais se trouvent dans les pays voisins, dont, au moins, 80.000 congolais sont réfugiés au Rwanda. La plupart sont originaires des territoires de Masisi et de Rutshuru. Ils sont partis par vagues depuis une décennie, fuyant divers événements.
Environ 6,7 millions de personnes connaissent des niveaux d’insécurité alimentaire et ont besoin d’une aide d’urgence dans le Nord et le Sud-Kivu et en Ituri (PAM).
Quelques 600 000 personnes sont déplacées dans le seul Nord-Kivu, tandis que 38 000 Congolais supplémentaires sont devenus des réfugiés entre octobre de l'année dernière et février en RDC.
Tous les experts politiques s’accordent pour affirmer qu’un accord définitif de paix n'est pas encore à portée de main. Alors que le dialogue entre le M23 et Kinshasa parait improbable, et, ce, malgré l’insistance des Chefs d’Etat de la région qu’un dialogue entre Kinshasa et M23 est indispensable pour le retour de la paix à l’Est de la RDC. En attendant qu’un dialogue puisse s’engager pour répondre à ses revendications politiques et sécuritaires, le M23 a libéré les territoires qu’il avait occupés. D’autre part, le torchon brule toujours entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, qu'elle accuse de soutenir les rebelles du M23, soutien que le Rwanda réfute, tandis que les autorités rwandaises accusent la RDC de collaborer avec les FDLR pour déstabiliser le Rwanda, ce que Kinshasa réfute.
CONCLUSION
Depuis les indépendances, la Région des Grands Lacs a été le berceau de l’insécurité et des conflits politiques, avec de nombreuses victimes, des réfugiés et déplacés intérieurs, une situation humanitaire préoccupante et l’exacerbation de la pauvreté, qui touche une grande proportion des populations de la région. Le Burundi, le Rwanda, la République Démocratique du Congo, durant les 30 dernières années, ont traversé des crises qui hypothèquent tous les efforts de développement.
Les multiples Accords conclus pour la restauration de la paix et la stabilité dans la région n’ont jamais été respectés et mis en œuvre. Aujourd’hui, la crise politique dans l’Est de la RDC risque de causer l’implosion de toute la région des Grands Lacs.
Aujourd'hui, la Région des Grands Lacs se trouve dans L'IMPASSE.
- Impasse, car les pays sont confrontés aux problèmes de conflits internes et de gouvernance politique et economique
- Impasse, car les hauts responsables des pays voisins n'ont plus confiance les uns envers les autres pour construire la paix et la coopération
- Impasse, car les États africains, les institutions régionales et l'organisation continentale ne sont plus en mesure de se mettre d'accord pour construire la paix
- Enfin, Impasse , car des acteurs extérieurs au continent africain continuent à attiser les conflits, à soutenir tel ou tel belligérant en fonction de leurs intérêts.
Comme indiqué, le Président angolais prévoit organiser une réunion quadripartite, le 23 juin 2023, a Luanda, réunissant l’UA, la CIRGL, la EAC, la CEEAC, en vue d’évaluer le pas franchi dans la mise en œuvre des Agendas de Luanda et de Nairobi.
Nous ne pouvons présager des conclusions de cette réunion quadripartite, et surtout de son effet sur le retour de la paix régionale. Signalons, néanmoins, que d’autres conférences ont été organisées sur la question, mais que leurs recommandations n’ont jamais été mises en œuvre.
Comme le stipulait la Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2000, la situation en RDC constitue une menace réelle contre la paix internationale.
Non seulement la crise en RDC et dans la région des Grands Lacs aura des impacts sur la paix mondiale, mais, également, il y a des acteurs extérieurs au continent africain qui jouent un rôle majeur dans la crise, à des niveaux variés. En témoignent les ballets diplomatiques de certains dirigeants des pays concernés par la crise auprès des partenaires Occident, Russes, Chinois, et autres, à la recherche des appuis techniques et diplomatiques, les communiqués sanctionnant des conférences internationales, qui consacrent une section à la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs, et d’autres condamnations diverses. Aussi, les organisations humanitaires sont sollicitées pour apporter secours aux populations réfugiées et les déplacées. Enfin, le niveau de dépenses militaires des pays de l’Afrique de l’Est est alarmant. C’est la région de l’Afrique qui consacre une proportion importante de son PIB aux dépenses militaires. L’année 2023 risque de connaitre une hausse encore plus importante de ces dépenses.
Par conséquent, Partners for Peace and Prosperity est d’avis que le Conseil de Sécurité des Nations Unies devrait s’impliquer davantage dans la recherche de la paix dans la région des Grands Lacs, en organisant, notamment, une Deuxieme Conference de La Region Des Grands Lacs - après celle de 2004 -, afin d’évaluer la situation sécuritaire dans la région et définir une nouvelle feuille de route pour une paix durable, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs.
IL NE PEUT Y AVOIR D’INTEGRATION ECONOMIQUE REGIONALE SANS UNE PAIX REGIONALE DURABLE