LES DESSOUS DES VRAIES/FAUSSES REFORMES ECONOMIQUES ET MONETAIRES AU BURUNDI

Ce mois d’avril 2023, le Gouvernement du Burundi et le Fonds Monétaire International (FMI) ont signé un Accord pour une Facilite Elargie de Crédit (FEC), qui permettra au Burundi de faire face à la carence des devises étrangères, rééquilibrer la balance des paiements et engager des réformes économiques et de gouvernance importantes. Dans le cadre de cette facilité, le FMI accordait au Burundi un montant de 261 millions de dollars américains sur 40 mois.

Pour le Burundi, ce prêt représente une bouffée d’oxygène, pour une économie au bord de l’implosion, en particulier : une pauvreté extrême qui touche environ 82% de la population, avec une insécurité alimentaire qui affecte plus de 50% de la population, une inflation galopante, qui atteignait 40% en mars 2023, avec des hausses importantes de prix des denrées alimentaires, des prix de transport, une dépréciation du Franc Burundais, qui atteignait 100% en mars 2023, une dette publique insoutenable atteignant 68% du PIB, un chômage de jeunes qui dépasse 65% de la force de travail disponible, tous ces facteurs complétés par une corruption devenue endémique et touchant toutes les sphères de la hiérarchie de l’Etat, ainsi qu’une gestion laxiste des budgets publics. Le Gouvernement n’avait plus d’autre choix que d’accepter de conclure un accord avec le FMI. Quelles qu’en soient les conditions. D’autant plus que tous les autres partenaires contactés avaient recommandé au Gouvernement du Burundi de conclure préalablement un accord avec le FMI, avant de pouvoir appuyer.

Dès les premières mesures de mise en œuvre de cet Accord, certaines personnes, de la capitale économique, Bujumbura, semblaient satisfaites des résultats, en particulier sur l’effet produit de la disponibilité des devises sur le marché interbancaires des devises et auprès des bureaux de change privés, ainsi que l’effet sur le taux de change du Franc Burundi par rapport au dollar. La remise en place du Marché Interbancaire de Devises (MID), l’augmentation de la quotité cessible pour les demandeurs de crédits, donnaient de l’espoir pour un retour a la normale. D’autres personnes, cependant, restaient sceptiques, parce qu’elles estimaient qu’un long chemin restait a faire pour nourrir, de nouveau, l’espoir.

1)   Gestion du Taux de Change

La Facilité du FMI permet, certes, de remédier au problème criant de manque de devises étrangères, qui handicapait l’approvisionnement du pays en produits de première nécessité, en particulier, le carburant, les médicaments, les engrais et autres. A cet effet, la BRB a réinstitué le Marché Interbancaire de Devises (MID), qui était utilisé depuis 2013, lui-même, ayant remplacé le Marché aux Enchères Symétrique de Devises (MESD), en vigueur depuis 2009.  Dans un Communiqué, le Gouverneur de la BRB indique que le but de cette mesure est de « renforcer la transparence dans la gestion de devises et permettre aux banques commerciales d’échanger leurs liquidités en devises a un taux librement négocié ». Comme stipulé, tous les opérateurs vont s’approvisionner à travers leurs banques commerciales et les bureaux de change suivant l’importance de leurs demandes. Les banques commerciales vont s’occuper des demandes en devises pour des fins de consommation. Les effets de ces mesures semblent se faire sentir, en particulier, le Franc Burundais qui s’échangeait à 4800 contre le dollar américain, sur le marché parallèle a baissé a 3.000 Franc Burundais fin avril 2023, contre un cours de 1$=2.083 FBU sur le marché officiel des changes. Toutefois, sur cette question, il se pose 3 questions de fonds, à savoir :

(a) Durabilité de la mesure : l’appui du FMI est limité à 261 millions de dollars, tandis que les besoins en devises sont immenses. Demain, ces quelques devises vont s’épuiser, et la situation reviendra comme avant, c’est-à-dire, une forte dépréciation du Franc Burundais, avec un haut niveau d’inflation. Que fait le Gouvernement pour accroitre les recettes en devises de ses propres exportations. Rappelons qu’aujourd’hui, les recettes d’exportations ne couvrent qu’à peine 20% des besoins d’importations. Quid de la réduction du montant important de la dette publique ?

(b) Transparence dans la gestion des devises. Comme cela est stipulé dans le Communiqué du Gouverneur de la BRB, l’octroi des devises pour l’importation du carburant reste du ressort de la BRB. Le carburant représente environ 75% des importations totales. Cela veut dire que le MID et les bureaux de change ne s’occuperont que de 25% restants des devises. Par conséquent, l’opacité et le système de quasi-monopole, qui ont caractérisé l’octroi des devises pour l’importation du carburant, vont se poursuivre. D’autre part, comment les bureaux de change, qui opèrent sur une base de l’offre et de la demande vont-ils exiger les billets d’avion, avant d’octroyer des devises ? C’est comme demander à un marchand de ciment d’exiger de l’acheteur un permis de construire avant de lui fournir le ciment. S’il y a suffisamment de devises, le taux de change baissera, sinon, les bureaux de change suivront l’évolution de la demande.

(c) Quels filets sociaux de sécurité pour les pauvres ? Les populations burundaises croulent dans la pauvreté la plus abjecte, la production vivrière qui baisse, tandis que les prix des denrées alimentaires exacerbent cette pauvreté. Dans d’autres pays qui adoptent des programmes de reformes du FMI, ils prévoient également des filets sociaux de sécurité, pour aider les populations les plus vulnérables, notamment, subventionner certains produits et services, la distribution d’aliments, la stabilisation des prix des denrées alimentaires et des produits pétroliers. Ou alors, pouvons-nous interpréter cette absence d’empathie envers les populations rurales de la déclaration du Chef de l’Etat que les populations rurales n’ont rien à voir avec le dollar ? Et les fonctionnaires ? Pour qui les salaires, qui n’ont pas été augmentés depuis plusieurs années, lesquels salaires sont dépréciés, pour qui le coût de la vie s’est multiplié par 10 depuis 2005, et qui ne peuvent plus faire face aux besoins de leurs familles. Est-ce cette mesure qui vient d’être prise de leur permettre de s’endetter encore davantage auprès des banques et institutions de microfinance jusqu’à 60% de leurs revenus, qui constitue une facilite ? Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il envisagé d’augmenter leurs salaires ? L’on sait d’avance que les programmes du FMI n’autorisent pas de dépassement de la masse salariale. Par conséquent, s’il faut envisager des augmentations de salaires, les autorités burundaises devront envisager, prealablement, des réductions budgétaires sur certaines rubriques.

2. Des Reformes encore attendues

L’amélioration de la situation financière et monétaire ne pourra être durable que si le Burundi relance sa propre production pour générer les ressources en devises susceptibles de remplacer valablement l’aide extérieure. Comme dit un adage chinois : Si quelqu’un vous donne un poisson, vous mangerez un jour, mais s’il vous apprend à pêcher, vous mangerez tous les jours ». Autrement dit, le Burundi ne peut continuer à dépendre de l’aide étrangère pour relance son économie. Il ne suffit pas de recevoir les devises et les partager entre les bénéficiaires privilégiés. La facilite du FMI, et les appuis d’autres partenaires, devraient aussi servir à construire les capacités productives nationales, afin que dans 40 mois du programme, le Burundi soit en mesure de relancer son économie, réduire la pauvreté et assurer son autonomie financière. Pour cela, plusieurs actions sont nécessaires :

(a)       Investir dans la production agricole

Pour cela, l’urgence serait d’appuyer les populations par un meilleur encadrement, la fourniture gratuite d’engrais, les semences sélectionnées, et là où c’est possible, promouvoir la mécanisation et l’irrigation. Un budget spécial devrait être voté pour ces actions. L’augmentation de la production vivrière permettra d’assurer une autosuffisance alimentaire. Les produits d’exportation tels le café, le thé, et autres, pourraient bénéficier d’une attention particulière afin d’augmenter leur production. Par exemple, les exportations de café, qui avaient atteint un niveau de 42.000 tonnes en 1990, a baissé jusqu’à 12.000 tonnes aujourd’hui, soit un manque à gagner de 30.000 tonnes. Avec 42.000 tonnes, le Burundi pourrait encaisser facilement 162.000 milliards de Francs Burundais, soit le triple des recettes actuelles, à raison de 1,80$ le kilo. Le développement durable et la prospérité du Burundi sont a ce prix.

(b)       Promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption

Le programme du FMI n’aura pas servi à grand-chose s’il ne s’attaquait pas à la question épineuse de la gouvernance et de la corruption. L’attribution des marchés publics se fait de manière opaque, la gestion des ressources publiques est laxiste, tandis que la corruption atteint des limites inacceptables dans le pays le plus pauvre du monde. En 2021, le Gouvernement du Burundi a reçu des ressources importantes dans le cadre du programme d’appui pour faire face à la pandémie de COVID-19, mais la gestion de ces ressources n’a pas été transparente. Des milliards de francs sont détournés des caisses de l’Etat, par les hauts responsables de l’Etat, et sont thésaurisés dans les maisons, et le blanchissement de ces sommes est opéré au travers des constructions ou acquisition des maisons et autres propriétés, sans passer par le système bancaire. Un haut responsable de l’Etat peut posséder 5 ou 10 buildings, plusieurs voitures et des propriétés foncières. C’est une perte énorme pour l’Etat et les populations. Le Burundi est classé 171ème pays le plus corrompu sur 180 pays recensés par l’International Crisis Group, avec une note de 19 sur 100. Jusqu’ici, malgré l’annonce des Visions, des Plans de Long Terme, le Gouvernement n’a jamais mis en place une Vision de Long Terme pour le Développement et la Prospérité partagée du Burundi. Des discours populistes sans lendemain sont servis aux populations pour, tantôt, fustiger les ennemis de la Nation, qui affirment, sans preuve que le Burundi est pauvre, tantôt, s’attaquer aux anciennes colonies qui maintiennent le Burundi dans le sous-développement, tantôt, aux acteurs politiques de l’opposition et aux représentants de la société civile, qui continuent a critiquer le Gouvernement, tantôt, a ceux qui détournent les deniers publics, au système judiciaire. Et la liste des ennemis continue.

(c)       Recalibrer la dette publique

La dette publique a atteint des niveaux inacceptables, aussi bien la dette intérieure que la dette extérieure. Le montant de la dette publique s’élève à 4.300 milliards de francs burundais, soit 68% du PIB (2021). En 2009, les créanciers multilatéraux et bilatéraux du Burundi avaient annulé la dette extérieure du Burundi, dans le cadre de l'initiative renforcée en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (initiative PPTE renforcée). Depuis 2016, a la suite des sanctions imposées par beaucoup de partenaires internationaux, consécutives aux violations des droits de l’homme, le Gouvernement du Burundi s’est rabattu sur la dette intérieure auprès des banques commerciales et institutions financières, ainsi qu’à la Banque Centrale. La dette intérieure a, ainsi, triplé, passant de 1.071 milliards de Francs Burundais, en 2015, à 3.200 milliards de Francs Burundais en 2022, tandis que la dette extérieure est passée de 691 milliards de Francs Burundais en 2015 a 1.100 milliards de Francs Burundais en 2022. Dans le cadre de l’accord avec le FMI, le Gouvernement du Burundi devra utiliser une partie de la facilité pour réduire le niveau de la dette publique. La tâche ne sera pas facile.

(d)       Promouvoir le secteur privé

Le Gouvernement du Burundi devra utiliser l’accord avec le FMI pour promouvoir le secteur privé, en vue de créer des richesses et des emplois. L’investissement privé au Burundi est presqu’insignifiant. L’investissement direct étranger s’élève à seulement 8 millions, soit 0.2% du PIB. Les obstacles à l’investissement privé comprennent notamment : l’absence d’un cadre règlementaire qui protège et facilite les investissements, la corruption, le manque d’infrastructures adéquates, les routes, l’énergie, les communications, le manque de ressources humaines qualifiées, les faibles revenus des nationaux. Le Burundi ne pourra pas se développer sans un secteur privé dynamique.

 

Compte tenu de l’ampleur de la crise économique et financière, décrite ci-haut et de la lenteur du Gouvernement pour prendre les mesures de reformes nécessaires, il apparait que le Gouvernement du Burundi, bien qu’il ait signé l’Accord avec le FMI, la mise en œuvre de ce dernier sera difficile, et la population burundaise continuera à souffrir de la pauvreté, de la faim et du dénuement, pendant que la mauvaise gestion et le détournement des ressources publiques continuera. Wait and see.

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